Utiliser Redlec avec des adultes dyslexiques
La rééducation des adultes dyslexiques pose des problèmes particuliers.
Premièrement les adultes dyslexiques ne sont pas des personnes illettrées. Ils ont déjà appris à lire. Ils ont une certaine manière d'accéder au contenu des écrits. Elle est caractérisée par l'utilisation de stratégies compensatoires ou de stratégies de contournement qui ont pour fonction de suppléer aux automatismes défaillants. Les stratégies compensatoires les plus fréquentes sont: une reconnaissance globale approximative du mot, un appui exagéré sur le contexte pour deviner le mot ou une prise d'indices partiels (premières lettres du mots par exemple).
la rééducation ne consiste pas à apprendre à lire ni réapprendre à lire, ni à désapprendre pour réapprendre, mais à harmoniser les stratégies mises en place avec les stratégies propres au décryptage du système alphabétique et à alterner les stratégies en fonction des besoins de la tâche de lecture.
La première difficulté sera donc de négocier avec les stratégies compensatoires. D'où la nécessité de donner des tâches de lecture complexe. Un adulte dyslexique qui, dans un exercice parvient à lire correctement des syllabes complexes incluant ses confusions par exemple, continuera à contourner l'assemblage syllabique quand dans la lecture de texte le contexte le lui permettra.
La deuxième difficulté sera d'ordre psychologique. Il y a un aspect régressif dans certains des exercices techniques proposés au cours de la rééducation que les patients vivent parfois très mal.
Outre les explications données au patient sur la nécessité de ces régressions temporaires, je pense que la rigueur et la systématisation du contenu de la séance peut avoir un effet rassurant sans être infantilisant.
Je vais aujourd'hui donner un exemple d'organisation de la rééducation avec un adulte dyslexique sévère qui a trouvé dans cette organisation un moyen de surmonter son trouble sans angoisse et sans sentiment d'infériorité.
Pas d'utilisation de mots clés (trop infantilisant pour lui).
Voilà comment nous avons conduit la rééducation.
D'abord le choix d'un thème que nous allons mener jusqu'au bout et de façon systématique.
- Lecture des mots à lire présentés en pile avec la consigne de remettre les mots mal lus sous la pile pour relecture.
Chaque erreur systématique (confusion par exemple) donnait lieu à 4 fiches d'entraînement en début de séance suivante: fiche graphème, fiche syllabe, fiche mot, fiche phrase. Si les 4 fiches étaient bien réussies, elles n'étaient pas re-proposées. Les fiches non réussies étaient proposées en début de séance suivante. La lecture de fiches n'excédait pas les 15 minutes environ.
- Après les fiches on reprenait la lecture des mots. Même travail si l'on constatait des erreurs systématiques.
-Lorsque tous les mots étaient lus correctement on abordait leur production écrite de la même manière systématique avec 3 procédures: copie, copie cachée, dictée (ou écriture du mot sous le dessin).
- lorsque tous les mots avaient pu être correctement lus au cours d'une séance nous proposions l'association phrases à choisir, phrases à lire: une fiche phrases à choisir puis immédiatement après la fiche phrase à lire correspondante afin de lutter contre l'appui contextuel exagéré.
-Même travail sur les fiches d'entraînement en début de séance en cas d'erreurs systématiques.
Lorsque les 10 fiches phrases à choisir et les 10 phrases à lire étaient lues correctement au cours d'une séance, on passait à la production écrite (nous avons écrit seulement les 10 phrases à écrire, pas les phrases à choisir).
Même retour aux fiches d'entraînement en début de séance si nécessaire.
- Lorsque les 10 phrases ont été écrites correctement, passage au texte. Chaque séance ne portait que sur une seule page du texte:
On commençait avec les fiches d'aide à la lecture:
En 1° segmentation syllabique.
En 2° segmentation lexicale,
En 3° le texte "normal" sans fiche d'aide,
En 4° la fiche fusion (reconstruire les mots à partir des syllabes)
En 5° fiche segmentation (texte sans segmentations, c'est au lecteur de trouver les axes).
Il arrivait que nous ne puissions pas faire les 5 procédures en une seule séance, nous reprenions alors là où nous en étions arrêtés la séance précédente.
Nous ne donnions aucune fiche d'entraînement à ce stade de la rééducation.
Lorsque toutes les pages ont été lues avec toutes les fiches d'aide à la lecture nous avons demandé à notre patient de lire le texte en entier. S'il faisait des erreurs nous les corrigions sans commentaires.
Lorsque ce travail a été terminé, j'ai proposé Redlec Prag pour la compréhension et la lecture silencieuse, fiche après fiche. (Redlec Prag n'est pas édité mais va faire prochainement l'objet d'une formation).
Lorsque tout ce travail a été terminé nous avons pris un autre thème et recommencé de façon systématique exactement de la même manière.
A aucun moment ce patient n'a eu le sentiment de faire des choses infantiles. Il voyait des progrès et était toujours avide de passer à l'étape suivante. C'était pourtant un dyslexique sévère. Lorsque les 4 thèmes ont été terminés, nous avons continué quelques temps en lisant des textes qu'il apportait, puis il a pensé qu'il était capable de se débrouiller seul. Ce n'était pas parfait, mais beaucoup mieux et il avait trouvé le goût de la lecture, l'envie de lire et le sentiment qu'il pouvait progresser encore et seul.