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Les mots de la préhistoire: une alternative à l'utilisation des logatomes

Au cours de la rééducation des dyslexies installées chez les enfants de fin de primaire, on conseille parfois l'utilisation de logatomes. Les logatomes sont des suites de syllabes, aussi appelés non mots quand ils n'ont aucune ressemblance avec un mot existant (mandurnalo par exemple) ou pseudo mots lorsqu'ils ressemblent à un mot existant (naison par exemple).

L'utilisation de ce type d'unités est censée stimuler l'assemblage puisqu'elles ne peuvent pas être identifiées par une récupération d'image globale approximative. Le non mot ne ressemblant à aucun mot, il doit être déchiffré, et le pseudo mot différant légèrement du mot auquel il ressemble il doit également être déchiffré sous peine d'être identifié comme le mot auquel il ressemble.

Or, à mon sens l'utilisation de ce type d'unités n'a d'intérêt que dans les épreuves d'évaluation car elles permettent au praticien de faire une analyse différentielle des stratégies de lecture utilisées par le patient. Les non mots vont faire ressortir les confusions, inversions, substitutions et les pseudo mots vont mettre en évidence les stratégies de contournement du déchiffrement.

En revanche, je n'adhère pas à leur utilisation dans le cadre de la rééducation ou de la prévention.

En effet, tout l'enjeu de la maîtrise automatisée du système alphabétique réside dans le fait de faire le lien entre les unités grapho-motrices, les unités phonologiques et les significations. tout l'enjeu de l'apprentissage de ce système est l'accès à l'identification des mots par l'intermédiaire de leur décodage précis.

Or dans la rééducation nous nous trouvons face à un dilemme: si nous donnons des mots signifiants à un enfant ou à un adulte dyslexique qui, au cours de l'installation de son trouble, a développé une stratégie compensatoire d'accès aux mots par une image globale approximative, nous ne l'incitons pas à changer de stratégie. Si nous lui donnons des non mots ou pseudo mots, nous lui proposons une tâche artificielle qui n'est pas vraiment de la lecture. Nous lui faisons lire quelque chose qu'il ne lira jamais dans la vie courante, quelque chose qui n'a ni sens ni intérêt et qui (les orthophonistes le savent bien) le rebutent profondément.

Lorsque j'ai construit et expérimenté Redlec avec mes jeunes patients j'ai contourné le problème en leur proposant des vrais mots mais dont il y avait peu de chances qu'ils les aient stockés en lexique orthographique: les mots de la préhistoire.

Ainsi, nous pouvions développer l'essence même des mécanismes de lecture l'accès au sens par l'intermédiaire de la forme. Le développement d'une stratégie d'assemblage susceptible d'être automatisée, puis dépassée. Nous savons bien que l'assemblage est un stade intermédiaire. Après plusieurs reconnaissances du même mot par les techniques d'assemblage, ce mot finit par être stocké. Si l'apprentissage a été bien fait le mot est stocké avec sa structure interne. Il peut être récupéré et orthographié. S'il n'a pas été bien fait, le mot est stocké de façon globale approximative.

Les mots de la préhistoire ont ravi mes élèves de CM2, 6° ou 5°. Certains se sont passionnés pour l'exercice: découvrir les noms des animaux préhistoriques. je pense à deux d'entre eux qui ont travaillé avec ces mots pendant des séances et des séances, ne lâchant pas l'affaire tant qu'ils ne parvenaient pas à les identifier.

Je ne suis pas tombée de la dernière pluie et j'étais bien consciente du fait qu'après plusieurs séances ils pouvaient retenir le nom dans sa forme orale sans que l'assemblage soit totalement réhabilité. C'est alors que le versant production venait remplir toute sa fonction.

Prenons par exemple 5 mots de la préhistoire avec un enfant dyslexique de 6°. Tu lis le mot, s'il est bien lu, tu l'enlèves de la pile, s'il est mal lu tu le remets sous la pile.

On continue l'exercice jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de cartes dans la pile.

Maintenant reprenons les cartes du côté dessin: tu te rappelles du nom de cet animal? Oui? super. Dis le. C'est parfait. Maintenant écris le. Tu ne peux pas? Alors retourne l'image et relis le. Retourne maintenant. Tu peux l'écrire? Oui? Parfait. Essaie. C'est juste c'est super. C'est faux, regarde le encore.

Tu ne peux pas l'écrire? Alors on va le copier. Pour copier il faut savoir regarder mais en plus il faut avoir le mot oral en tête. Vous allez pouvoir travailler l'empan de copie sur la base de la segmentation syllabique.

De séance en séance l'enfant va peut-être stocker un certain nombre de noms d'animaux préhistoriques. mais surtout il aura diversifié ses stratégies d'identification et de stockage des mots. C'est ce qui nous intéresse dans la rééducation.

On me dira peut-être que c'est ainsi avec les 4 thèmes. J'ajouterai cependant quelques précisions.

Lorsqu'il s'agit de mots difficiles comme ceux de la préhistoire on replace l'enfant dans la situation de la construction des liens entre les processus de bas niveaux et les processus de hauts niveaux (ou liens signifiants / signifiés), comme au cours de la période d'installation du langage.

Au cours de cette période (entre 18 mois et 2 ans et demi) c'est la forme phonologique qui permet d'apprendre les mots, et c'est l'attribution d'un sens aux mots qui permet d'en mémoriser la forme phonologique. Jamais l'un sans l'autre.

Au cours de l'apprentissage de la lecture, il doit se passer la même chose avec la forme visuo graphique des mots. Avec toutefois la particularité que (sauf dans les cas de surdité) le mot est déjà le résultat d'une association forme orale / sens. On doit donc faire une double association forme écrite / forme orale / sens.

L'utilisation de mots peu connus, non stockés mais néanmoins signifiants règle le problème. Et notre jeune dyslexique, rebuté par la lecture découvre que c'est par la lecture qu'il acquiert les mots. Bien entendu si les animaux préhistoriques ne l'intéressent pas, il faudra trouver autre chose. Les Pokemons peut-être, ou les personnages de star wars.


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