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L'oralisation de la lecture. Pourquoi?

Aujourd'hui, nous allons revenir sur le rôle de l'oralisation dans les phases d'apprentissage de la lecture.

Nous avons dit, précédemment qu'il existe deux types d'écritures: les écritures idéographiques et les écritures phonographiques.

Les écritures phonographiques se divisent elles-mêmes en deux branches: les écritures syllabiques (ancêtres de l'écriture alphabétique) et les écritures alphabétiques.

Nous avons dit que pour dire le plus grand nombre de choses, une écriture idéographique multiplie le nombre de signes, elle accumule les signes. elle compose également de nouveaux signes par agglomération de plusieurs signes ou par dérivation des signes. ce sont des systèmes très coûteux en mémoire.

L'écriture alphabétique, à l'inverse, a réduit le nombre de signes: 26 lettres dans notre alphabet et moins de quarante graphèmes en comptant les graphèmes complexes. C'est donc une écriture très économique en mémoire. En revanche elle demande un grand travail de décryptage.

Pour accéder au décryptage, le code doit non seulement être appris, mais sa maîtrise doit être automatisée. C'est à dire que les signes écrits doivent être convertis en phonèmes de manière totalement automatique et fluide et ces phonèmes doivent être eux-mêmes fusionnés en syllabes, afin de retrouver dans les mots écrits leurs correspondances orales.

Le premier intérêt de l'oralisation est de redonner au mot écrit une forme orale que l'apprenti lecteur peut reconnaître, en quelques sortes redonner vie au message pétrifié par l'écriture.

Or, la forme orale que nous percevons lorsque nous écoutons des mots est séquencée sur un mode syllabique et non phonémique. C'est d'ailleurs l'une des grandes difficultés de l'apprentissage de la lecture alphabétique: trouver les axes de segmentation permettant d'assembler et de séparer les graphèmes afin de donner au mot écrit une forme syllabique compatible avec la structure acoustique du mot oral.

Ces axes de segmentation n'existent pas à l'écrit, ils n'existent qu'à l'oral. Pour les retrouver dans le mot "éléphant", par exemple je dois séparer é (1 lettre) lé (2 lettres) phant (5 lettres). la logique de cette segmentation est la structure orale du mot. Lorsque l'apprentissage est terminé, bien entendu les mots sont stockés dans leur forme globale, mais la segmentation reste pertinente, en sous-main si je puis dire. En effet si je veux distinguer "éléphant" et "élégant", je dois accéder à la structure interne du mot et à son corollaire oral.

L'écart entre la structure acoustique syllabique du mot oral et la structure graphémique du mot écrit est la grande difficulté du système.

La plupart des travaux considèrent que le phonème est une subdivision acoustique de la syllabe. Et les livres de lecture représentent les correspondances entre graphème et phonèmes par les symboles d'un oeil (je vois) et d'une oreille (j'entends). C'est là que réside l'erreur, car nous n'entendons pas les phonèmes isolés, mais nous entendons des syllabes plus ou moins complexes, le coeur de la syllabe étant la voyelle et les marges étant les consonnes qui pour certaines d'entre elles (les occlusives sourdes en particulier) ne sont pas du tout sonores: ce sont des ruptures de sons.

Alors que sont ces phonèmes? Sont-ce des abstractions? Et si c'est le cas, comment en est-on arrivés à les coder dans un système d'écriture?

Les phonèmes ne sont pas des sons, ils ne sont pas non plus des abstractions. Ils sont les composants articulatoires de la parole. Les graphèmes sont donc en réalité des indications pour prononcer les mots. c'est en cela que le système est absolument magnifique. En codant la prononciation, aucune erreur possible dans le message: ils transcrit exactement ce que le locuteur a voulu dire. Pour le décrypter l'interlocuteur (qui se trouve à distance) doit à son tour le prononcer. En le prononçant, il décode les signes phonémiques, il les agence en unités plus grandes syllabiques et il redonne par sa production une forme sonore au message. Lorsque l'apprentissage est terminé, il peut le faire mentalement et n'a plus besoin de passer par la réalité acoustico-articulatoire, il subvocalise.

Pour certains des enfants que nous suivons les différentes enveloppes (acoustiques syllabiques et phonémiques articulatoires) du mot oral ne sont pas parfaitement connectées. L'entrée dans la lecture est pour eux une seconde chance d'opérer cette connexion qui, au passage, stimule la constitution des réseaux cérébraux de traitement de l'information.

C'est tout l'enjeu de l'apprentissage de la lecture chez les enfants dits à risques. Si nous ne leur proposons pas des stratégies adaptées, alors leurs difficultés antérieures vont influer négativement sur leurs capacités d'entrée dans la lecture. En revanche, si nous utilisons les structures du système alphabétique comme elles doivent l'être: c'est à dire comme des signaux de prononciation, nous levons bien des ambiguïtés de l'oral et nous avons un formidable effet retour de l'entrée dans la lecture sur le développement du langage en particulier dans sa composante phonologique et dans sa composante lexicale.


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