Mots: à quoi sert le contexte?
Lire des mots isolés représente une tâche complexe de lecture en format réduit. Il est donc intéressant d'aborder la rééducation par la lecture de mots dans de nombreux cas: en prévention avec des enfants présentant retards de langage, dysphasie, troubles attentionnels. En début de prise en charge avec des grands dyslexiques, ados ou adultes ne parvenant pas à mobiliser leur mémoire de travail ou pour qui la lecture de texte (surtout devant un tiers) occasionne un stress, etc.
Les méthodes globales et semi-globales ont bien vu l'intérêt de commencer par le mot. Seulement elles proposent d'en mémoriser d'abord l'enveloppe globale. Or lire un mot, ce n'est pas en mémoriser l'enveloppe globale, mais intégrer dans le même geste mental sa structure interne et sa signification afin d'établir un lien signifiant / signifié indissociable. Tout acte linguistique (oral ou écrit) a deux faces: le signifiant (ensemble de signes organisés entre eux) et le signifié (objet ou concept).
Lorsque nous proposons à un enfant une lecture de mots, il est capital que nous soyons très clairs sur la manière dont nous procédons et sur ce que nous activons.
Un mot sans contexte imagé n'active pas la référence sémantique si celle-ci n'a pas été établie antérieurement. Il active un "processus de bas niveau" (décryptage du signifiant). Pour vérifier que l'enfant accède en même temps au signifié ("processus de haut niveau") nous devrons avoir recours à une hétérorégulation (du style: "tu as compris le mot qu'est-ce qu'il veut dire?) Ce qui ralentit l'automatisation du lien signifiant écrit signifié. L'exemple que j'ai pris il y a quelques jours pour les listes de mots contenant "ain" fonctionne sur ce mode. Nous séparons volontairement le traitement de bas niveau (signifiant) du traitement de haut niveau (signifié) pour automatiser un des aspects de transcodage. Mais il faut être clair avec ça. C'est de l'entraînement. Pas de la lecture.
Un mot accompagné de son contexte imagé (mot écrit à côté du dessin ou au-dessus ou au-dessous) active la référence sémantique (association au signifié) mais n'active pas le décryptage. On peut en faire l'expérience en écrivant sous le dessin un autre mot ressemblant ou même parfois carrément différent. Dans la mesure où il est associé à une image, l'enfant qui ne décode pas le considèrera comme le nom de l'objet dessiné et croira qu'en faisant cette association il a fait de la lecture. Nous pouvons proposer cela bien entendu, à condition de savoir pourquoi on le fait et où on veut en venir. Un moyen de vérifier si le signifiant a été traité est de proposer une copie différée par exemple.
Avec redlec nous proposons une autre disposition: le contexte différé qui permet d'activer en même temps les deux procédures. Le mot au recto, le dessin au verso. Reprenez l'exemple d'hier avec carrosse et vous comprendrez comment le contexte différé agit. Si l'enfant se trompe en lisant le mot, il ne va pas l'associer au bon objet. En retournant la carte, il voit son erreur, retourne encore, vérifie par lui-même et progresse vers l'autocorrection, donc vers l'autorégulation. Ce n'est pas le thérapeute qui relève son erreur mais lui-même qui la voit. Seules des cartes individuelles de mots peuvent permettre cela. Cette procédure par ailleurs facilite l'alliance thérapeutique car elle permet au thérapeute de dédramatiser et à l'enfant de comprendre l'intérêt des exercices d'entraînement qui vont lui être proposés par la suite.
Nous avons voulu des mots en rapport avec un thème (pirates, chevaliers,etc) et de belles illustrations afin de renforcer l'aspect sémantique et de créer une continuité avec les textes. Nous avons voulu que les enfants puissent manipuler les cartes, choisir le thème, le nombre de mots à lire, la difficulté des mots (encore que l'aléatoire reste très important dans notre conception. Nous en reparlerons.)
Dans les vidéos de formation et au cours de vos propres séances, vous constatez que les mots en rapport avec un thème suscitent beaucoup de commentaires chez les enfants. Ceci permet d'inscrire plus fortement l'écrit dans sa continuité avec l'oral. Pour les enfants n'ayant pas de problèmes de langage l'entrée dans l'écrit renforce l'oral. Pour les enfants à problèmes, les difficultés à l'oral freinent la maîtrise de l'écrit. Il existe des moyens pour renverser la donne. A condition de savoir exactement quelles sont les contraintes et les effets des tâches que nous proposons.