le contexte différé un pas vers l'autorégulation
Nous allons prendre un nouvel exemple de cheminement vers l'autorégulation.
Voici une jeune fille de 6° qui arrive avec une dyslexie caractérisée surtout par des erreurs globales de mots, erreurs tellement nombreuses qu'elles entravent considérablement sa compréhension de textes. Nous passerons sur les détails du bilan (il n'y a pas que des erreurs globales bien entendu). Comme elle est appliquée, travailleuse et sage, sa scolarité primaire s'est passée laborieusement mais sans redoublement et sans clash. En 6° elle s'effondre scolairement et, par ricochet, psychologiquement.
Au cours de la première séance, je lui propose les boîtiers redlec afin qu'elle choisisse un thème. Elle choisit les chevaliers. Je lui donne donc une pile de "mots à lire et à écrire".
Le premier mot qui se trouve sur la pile est le mot carrosse. Elle lit: carotte.
Je lui demande de retourner la carte, elle voit le dessin d'un carrosse, retourne à nouveau, observe le mot et constate:"ah, je n'ai pas lu le mot jusqu'au bout".
Nous pouvons entamer un dialogue dans lequel nous abordons sa problématique de prise d'indices partiels en lecture. Nous pouvons vérifier ensemble les erreurs de traitement phonologique et de traitement visuel qui ont entraîné une fixation sur cette stratégie compensatoire et proposer des exercices adaptés (dont, je vous le rappelle, nous vérifions toujours l'efficacité dans des tâches plus complexes).
Travailler sur des mots avec contexte différé active un traitement autorégulé du mot comprenant non seulement son enveloppe globale mais aussi sa structure interne et son renvoi à sa signification.
Coupler ces exercices avec la lecture des textes en alternant page avec segmentation syllabique et sans segmentation syllabique va lui permettre de lâcher progressivement sa stratégie compensatoire non pas en la remplaçant par du déchiffrage mais en l'alternant avec du déchiffrage selon les besoins du texte (c'est très différent).
Aborder son problème par des lectures de syllabes n'aurait eu aucun sens, du reste elle les aurait peut être lues correctement.
L'aborder par des textes aurait contribué à brouiller les pistes. Lorsque sa prise d'indices partiels (et aussi l'appui contextuel) lui aurait conduit à une identification juste des mots ni elle ni moi n'aurions vu ce qui se passait. Lorsque cette stratégie n'aurait pas été adaptée au matériel (mot trop long, mot nouveau, mot ressemblant à un autre mot de sens différent, outil de liaison, marque morphosyntaxique, etc), elle se serait retrouvée avec sa lecture hésitante, émaillée d'erreurs et avec l'angoisse qui l'accompagnait.
Sa stratégie lui permettait de "survivre" en classe et d'accéder en partie à la compréhension des messages écrits. Elle était mise à mal par l'augmentation des exigences de lecture avec l'entrée au collège. Il ne s'agissait pas pour elle de l'abandonner, mais de l'utiliser à bon escient et de manière moins exclusive.
L'art de la rééducation des troubles installés ne consiste pas à supprimer les stratégies compensatoires mais à les faire émerger, puis à les mettre à mal en proposant des tâches pour lesquelles un changement de stratégie s'impose de lui-même.
J'ai donné cet exemple lors de la précédente formation. Il émane d'une situation réellement vécue. Je le détaille ici car la formation est dense, nous abordons énormément de choses et il me semble important dans ce deuxième temps de détailler tout ce qui a été dit.

